Le jumeau numérique industriel – ou Digital Twin – est depuis longtemps présenté comme une avancée majeure pour la fluidité et l’efficacité des opérations en usine. Pourtant, sur le terrain, ses usages laissent apparaître des points de blocage et des crispations qui réduisent son impact. A l’heure où l’intelligence artificielle progresse à grande vitesse, comment la mobiliser pour lever les freins et déployer des jumeaux numériques à grande échelle ? Retour d’expérience avec un acteur industriel d’envergure mondiale.
Face aux instabilités constantes de la chaîne logistique depuis le COVID-19, les industriels se sont équipés d’outils numériques capables de les accompagner rapidement dans la prévision et la réponse aux événements de marché. Par ses simulations virtuelles d’objets ou de systèmes, le jumeau numérique est vite apparu comme la solution la plus efficace pour intégrer tout type de variations (flux de matières, indicateurs économiques ou ruptures technologiques) et adapter la production en conséquence.
Mieux : avec l’avènement de l’Intelligence Artificielle générative, cette capacité d’agilité pourrait sortir renforcée : un jumeau numérique alimenté par l’IA serait désormais capable de distinguer des récurrences et des schémas d’anomalies et suggérer des changements que l’esprit humain ne pourrait concevoir ni détecter.
Des retours d’expérience mitigés sur le jumeau numérique
Mais derrière la théorie, la réalité n’est pas si simple. Selon le retour d’expérience des pionniers du jumeau numérique industriel, un élément dans l’usage de cette solution la rend difficilement opérante : la mise en pause des installations pour tester les modifications suggérées par le jumeau – laquelle mobilise bien trop d’efforts et de temps pour justifier son efficacité. La perspective de l’introduction de l’IA n’allège en rien ces pratiques : à l’effort d’entraînement des modèles de Large Language Models (LLM) s’ajoute celui de la collecte des données, lesquelles sont généralement réparties dans des systèmes disparates et silotés, depuis des capteurs connectés jusqu’à des plateformes de simulation.
Chez Cognizant, nous sommes convaincus qu’un jumeau numérique accéléré en temps réel par l’IA peut aider les directeurs industriels et opérationnels à naviguer dans des environnements incertains. Pour appuyer cette conviction, nous livrons ici une expérience d’intégration d’une plateforme 3D alimentée par l’IA que nous avons opérée auprès d’un grand acteur de l’Industrie et dont l’implémentation a permis le déploiement à l’échelle de plusieurs jumeaux numériques.
Quels freins ?
Si les avantages d’une architecture de type « jumeau numérique » sont bien connus – une capacité à simuler virtuellement des changements et leurs conséquences sans avoir à interférer avec l’infrastructure physique – il nous semble important de lister ici les freins qui entravent encore son utilisation. Le premier d’entre eux, nous l’avons dit, concerne les données et leur éparpillement dans des systèmes hétéroclites. Le deuxième frein vise plutôt la formation des équipes et les réticences éventuelles de celles-ci à utiliser cet outil – donc une problématique de culture du changement. Enfin le troisième frein relève plutôt des interfaces utilisateurs (UI) qui se présentent souvent de manière si complexe et si dissociée de la réalité du terrain que les responsables opérationnels et les dirigeants ont du mal à les utiliser pour simuler des changements.
Le résultat combiné de toutes ces défiances et entraves, c’est que les utilisateurs, pour tester chaque changement de paramètre, préfèrent alors mettre en pause les opérations et reconfigurer « à la main » les simulations d’équipements, d’espaces physiques et de process, le tout conduisant à des pertes d’exploitation pour les opérations en cours… alors que l’objectif initial était de les accélérer.
Améliorer l’UI pour fluidifier l’interaction
Partant de ces observations, nous avons accompagné un acteur international des technologies du bâtiment et de l’énergie qui était confronté à ces problématiques. Notre proposition visait à adjoindre une brique technologique au jumeau numérique pour adresser ces enjeux. Notre choix pour ce cas précis s’est alors porté sur NVIDIA Omniverse car cette plateforme nous semblait la plus facile à utiliser et la plus intégrée pour rassembler les données issues d’environnements hétérogènes (depuis les données d’opérations jusqu’aux données d’approvisionnement et de transport, en passant par les données de l’usine et des entrepôts) et parce que son interface 3D se montrait plus détaillée et plus conforme à la réalité du terrain que la plupart des outils de modélisation. À l’aide de cette plateforme, notre client s’est immédiatement familiarisé à une interaction fluide avec le jumeau numérique de son usine et s’est mis à modéliser et tester des changements de paramètres directement dans le système sans avoir à interrompre ses opérations.
Collecter des données pour entraîner l’IA
Ensuite, nous souhaitions insister sur la collecte de données car, lors d’un déploiement IA à l’échelle, le défi d’intégration réside principalement dans l’identification et le regroupement de données de qualité qui entraîneront le modèle LLM. Sur des opérations industrielles, cet aspect s’avère particulièrement complexe – les données de modélisation et les données issues d’appareils connectés étant souvent stockées sur des systèmes aux formats multiples. Dans ce cas éprouvé, nous conseillons de recourir à une plateforme de modélisation 3D capable de reformater sans couture ces données (IoT, capteurs, CAO/FAO) au format de fichier Universal Scene Description, qui agit comme un standard de l’industrie. Cette solution présente un autre avantage : celui de ne pas « écraser » les systèmes hérités et de laisser ainsi les utilisateurs et les applications IA puiser dans les configurations passées pour nourrir leurs apprentissages.
Enfin, dans le choix de cette plateforme, nous recommandons de vérifier la capacité à générer des données de synthèse (c’est-à-dire des corrections automatiques de données réelles) pour entraîner le LLM sur des scénarios de variations de l’environnement physique, sans avoir à patienter pour que ces variations aient lieu dans le monde réel et génèrent des données au sein des capteurs physiques. Dans le cas précis de notre client industriel, nous avons recommandé NVIDIA Omniverse car elle cochait toutes ces cases et répondait aux besoins du client.
Passer à l’échelle sans multiplier les interfaces
La solution était donc mûre pour permettre le passage à l’échelle du jumeau numérique. Mais une question se posait quant à la réplication éventuelle de ces jumeaux : doit-on multiplier les jumeaux numériques en fonction des usages auxquels on les destine (ex : l’agencement dynamique des espaces de travail, la surveillance des infrastructures, l’assistance terrain pour les équipes, etc) ? Sur ce point, notre réponse fut catégorique : cette solution est bien trop coûteuse et n’apporte pas suffisamment de ROI. À la place, nous réitérons notre recommandation d’utiliser une plateforme 3D accélérée par l’IA dont les capacités d’intégration et la configuration logicielle permettront aux entreprises de combiner en un seul environnement ces multiples fonctionnalités de modélisation et de prédiction.
Cette rationalisation accroît la pertinence dans la prise de décision des responsables métiers car ceux-ci ont la possibilité de modéliser et de tester les effets des changements proposés sur la base de données communes. Cette vision unifiée et transversale leur offre alors une meilleure capacité d’arbitrage entre plusieurs paramètres à moduler, qu’il s’agisse de flux de matières, de planification de ressources ou d’utilisation d’actifs.
Attention à l’infrastructure
Le passage à l’échelle de jumeaux numériques industriels accélérés par l’IA est donc techniquement possible mais reste à envisager sous l’angle d’une stratégie coût-bénéfice. L’architecture de la solution – et donc les infrastructures, les plateformes et les partenariats qui la composent – relève d’une réflexion de long terme. Dans notre travail avec l’industriel précité, les équipes Cognizant se sont appuyées sur les services cloud d’Amazon Web Services pour supporter les applications, y compris AWS Bedrock pour le développement d’applications d’IA générative et AWS SiteWise pour les applications d’exploitation des actifs.
Quels bénéfices attendre de jumeaux numériques enrichis par l’IA ?
À l’issue de cette expérience de collaboration avec ce client industriel, nous sommes parvenus à une plateforme intégrée, à la fois 3D, temps réel et enrichie par l’IA, capable de réaliser les missions suivantes :
- Optimiser en temps réel les performances des actifs, les aménagements d’usines, les déambulations exploratoires virtuelles (« Gemba Walk ») et la planification de l'automatisation.
- Faciliter l'usage de la réalité augmentée et virtuelle pour la collaboration à distance, les consultations virtuelles et la formation immersive.
- Assurer un suivi en temps réel des indicateurs-clés (KPIs) tels que les dépenses opérationnelles, les coûts en capitaux et le ROI escompté, pour permettre au système de réagir rapidement et précisément aux évolutions de l’environnement.
- Améliorer les processus, développer l’efficience et réduire les coûts opérationnels.
- Simuler l’impact de véhicules à guidage automatisé, de robots collaboratifs, d’outils de vision par ordinateur et d’autres technologies avancées.
- Identifier des viviers d’efficacité énergétique et assurer le suivi de la performance pour remplir les objectifs de durabilité de l’entreprise.
La multiplicité de ces fonctionnalités traduit la diversité des bénéfices que peut attendre l’industriel d’une telle plateforme : amélioration de la performance des actifs et réduction drastique du temps requis pour les configurations d’usine et de ligne, pour la planification de l’automatisation ou pour les simulations, tout comme une réduction du temps requis pour les visites virtuelles (gembas digitales).
Cet article vise à le prouver : le passage à l’échelle et l’adjonction d’IA aux jumeaux numériques permet non seulement d’accroitre la productivité et la pertinence des informations de simulation-modélisation, mais ils se traduisent par un rendement plus élevé et plus qualitatif des lignes de production. Pour les responsables d’entrepôts, les gains attendus se mesurent en précision accrue des commandes et des stocks, en optimisation de l’utilisation des espaces de travail et en réduction de dépenses d’exploitation.
Vu le rythme rapide d’amélioration des pratiques et des technologies, nous sommes convaincus au sein de Cognizant que les jumeaux numériques ont le potentiel (et le devoir) d’apporter à leurs utilisateurs industriels autant d’efficacité que d’efficience dans les prochaines années.
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