Réussir à concevoir des applications innovantes sur la base de tous ces ingrédients passe forcément par des compétences que l’on ne trouve pas toujours dans les équipes de design traditionnelles. Parmi ces compétences rares, on peut citer les compétences en design de produit ou en digitalisation du parcours santé. Ajoutés à cela, les spécialistes en technologie médicale voire même en anthropologie médicale. Ces derniers peuvent faire toute la différence en permettant de mieux comprendre le ressenti des patients pendant leur maladie, mais aussi en sachant recueillir les connaissances des physiciens, des chercheurs ou des patients eux-mêmes : l’expérience terrain !
Un peu comme pour la méthode Agile appliquée au développement logiciel, l’équipe pourrait ici effectuer son travail de conception sous forme de Sprints itératifs, en développant des prototypes succincts que l’équipe pourrait ensuite rapidement affiner sur la base des retours utilisateurs. Une telle méthode pourrait permettre de passer du travail exploratoire initial à des proof of concepts éligibles à la phase de tests en seulement deux à trois mois.
2) Brainstormer librement
Pour atteindre ces objectifs, il est indispensable de créer un espace de discussion ouvert et sans jugement où toute idée est la bienvenue, même si celle-ci provient d’autres univers sectoriels ou requiert davantage d’efforts de mise en place. Les responsables des équipes devront non seulement affirmer ce principe de manière explicite mais également proposer des exercices qui laissent libre cours aux contributions les plus diverses. Parmi ceux-ci, on peut citer « Crazy Eights » (littéralement « Huit en folie ») pendant lequel chaque participant dispose de huit minutes pour imaginer huit idées innovantes pour la solution de santé digitale, sans tenir compte des contraintes de coûts ou de technologies.
Il est intéressant de constater que, dans les premières étapes du processus, les experts du monde médical et pharmacologique se montrent souvent réticents à accepter les méthodologies et exercices issus du design thinking – probablement en raison de leur culture de recherche clinique très structurée et des contraintes réglementaires auxquelles ils peuvent se heurter. Les spécialistes en digitalisation de la santé peuvent alors surmonter cette résistance initiale en expliquant comment ces exercices peuvent permettre d’identifier des besoins non satisfaits et aboutir à la conception de solutions créatives. Nous constatons d’ailleurs que ce scepticisme initial devant la liberté de ton du design thinking s’efface bien souvent pour laisser place à un enthousiasme de ces mêmes experts au fur et à mesure que les solutions créatives voient le jour et se construisent.
3) Passer à l'échelle via des composants digitaux réutilisables
Passer à l’échelle avec de grands volumes de patients et/ou la diversification de l’éventail de maladies adressées requiert la création de composants digitaux réutilisables. Parmi ceuxci, on peut penser à :
- des éléments d’interface utilisateur communs entre plusieurs applications (destinées soit aux patients, soit aux médecins),
- des mécanismes standardisés de collecte et de stockage du consentement,
- des pipelines de collecte et de raffinement de données quand celles-ci sont issues de dispositifs médicaux connectés fréquemment utilisés,
- des micro-services pour intégrer directement les dossiers médicaux électroniques…
La conception orientée patient à l’épreuve du terrain
Cognizant a éprouvé l’approche suivante avec un client d’envergure mondiale dans les services biopharmaceutiques. Nous avons conçu des solutions sur mesure pour aider les patients souffrant de deux maladies.
La première était une maladie inflammatoire de l’intestin (MII) provoquant de sévères accès de douleurs sur une longue durée et une envie fréquente, imprévisible de se rendre à la selle. La seconde était une affection aiguë, potentiellement mortelle, pouvant frapper les patients atteints de cancer. Dans les deux cas, nous avons muni les patients d’outils curatifs ou préventifs pour leur faciliter la vie.
1 ) Faciliter l'injection avec une vidéo pas à pas
Constatant les difficultés qu’ont les patients MII à s’administrer les piqûres pendant le traitement, l’équipe a développé une application vidéo calée sur le rythme des patients qui leur permet de revoir les instructions pour chaque étape (telle que le nettoyage du site d'injection) sans avoir à toucher l’ordinateur ou l’interface digitale – leur permettant ainsi de garder leurs mains propres et d’éviter d’éventuelles infections.
2) Localiser le point d'injection avec la réalité augmentée
Un brainstorming ouvert a aussi permis à l’équipe d’imaginer une application de réalité augmentée utilisant les données de la caméra du téléphone du patient pour faciliter la localisation du point d’injection. Un des patients nous a notamment remonté son intérêt pour l’une des fonctionnalités de cet outil, à savoir la conservation de la localisation du précédent point d’injection : « Il s’écoule huit semaines entre deux piqûres », nous a-t-il expliqué. « Donc parfois je n’ai aucune idée de l’endroit où j’avais piqué la dernière fois ».
3) Faciliter l'accès à des toilettes avec macaron digital
Pour faciliter l’accès aux toilettes des patients, l’équipe a imaginé un « passeport toilettes » digital que le patient pourrait montrer en toute discrétion dans les lieux publics et les magasins afin d’avoir accès à des toilettes qui ne seraient autrement pas ouvertes au public.
4) Aider à faire du préventif avec le diagnostic impartial de l'IA
Parmi les autres applications proposées, l’équipe a pensé à utiliser l’Intelligence Artificielle (IA) pour identifier les ingrédients composant un repas à partir des photos de chaque assiette, puis pour corréler ces informations avec les données de fréquentation des toilettes afin d’aider les patients à évaluer quels aliments provoquent plus directement leurs symptômes.
L’utilisation de l’IA pour corréler les aliments et les symptômes devrait permettre d’éliminer plus facilement les biais que l’on retrouve dans les déclarations des patients, estime l’un des médecins interrogés. « Si vous aimez un aliment, vous allez être moins enclin à l’associer à vos symptômes. Et l’inverse est également vrai : vous allez accuser davantage les aliments que vous n’aimez pas dans le déclenchement de vos symptômes. Avec l’usage de l’IA, impossible d’échapper à l’impartialité du diagnostic : vous savez exactement où se trouve le problème ».
5) Suivi de biomarqueurs et de consommation en eau
Notre client nous a demandé la même approche concernant la deuxième affection qui touchait les patients atteints de cancers, en s’appuyant sur les besoins des patients mais aussi des médecins. En travaillant avec eux, nous avons envisagé un système intégré d’évaluation des risques permettant aux médecins d’estimer rapidement et facilement la prédisposition d’un patient à cette maladie, en mesurant en continu des biomarqueurs comme le niveau de potassium afin de s’assurer que ces patients sont effectivement suivis sur la base de cet indicateur. Nous avons également proposé l’utilisation de bouteilles d’eau connectées pour aider les praticiens à suivre la consommation d’eau de leurs patients à risque et à vérifier que celle-ci est suffisante pour les hydrater.
Nos travaux de recherche sur le terrain, directement au contact des patients pour comprendre leurs besoins, ont généré dans l’équipe des niveaux de satisfaction et d’engagement au travail jamais égalés auparavant. Ce qui nous amène à affirmer qu’un design véritablement orienté vers le patient peut pousser la qualité de soin et l’avantage comparatif d’un acteur de la Santé à des niveaux auparavant impossibles à atteindre. Mais cela ne peut advenir sans un changement de mentalité dans l’organisation, qui doit encourager la culture de l’innovation « orientée patient » et une approche rigoureusement scientifique pour résoudre les problèmes rencontrés par les acteurs de l’écosystème Santé.
La focalisation sur le patient est un enjeu trop important pour s’attarder sur des considérations scientifiques ou même humaines. La conception et le développement « orientés patient » tels que décrits ci-dessus devraient permettre d’apporter en continu des solutions adaptées aux besoins réels des patients et de leur équipe de soin. Qui plus est, cela permet d’adresser les aspects préventifs en plus des aspects curatifs, redonner au patient le contrôle pour reprendre sa vie en main. Au-delà des questions pratiques, la dimension psychologique est primordiale pour participer au bien-être des patients.
Cet article a été écrit par Bryan Hill et Vidya Viswanathan, Digital Health & Innovation Leaders dans l’équipe Life Sciences de Cognizant avec l’adaptation de l’équipe France.
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