Afin de passer vraiment au vert les fabricants de bien de consommations et les distributeurs doivent relever six défis ou plutôt débloquer six freins. Objectif : garantir un impact positif sur l’intégralité de leur chaîne de valeur et accélérer. C’est ce que nos retours terrains mettent en avant. Et voici comment la technologie en pratique peut les y aider.
Besoins d’éthique, de transparence, d’écoresponsabilité… les attentes sociétales qui entourent les consommations du quotidien ont explosé. Pour chaque produit distribué, les consommateurs scrutent la traçabilité de la chaîne d’approvisionnement avec la crainte de déceler des pratiques contraires à leurs valeurs (travail dissimulé, menaces sur les droits humains, déforestation, usage de produits controversés, risques sur la biodiversité, etc). La réputation d’une marque peut ainsi basculer à tout instant.
Pour les fabricants et les distributeurs, l’enjeu est donc de répondre à cet impératif de durabilité en activant suffisamment de leviers pour rassurer le client final : la mesure de l’empreinte carbone, la réduction des déchets, la gestion des chaînes logistiques ou encore l’optimisation des ressources font partie des pistes (non exhaustives) à explorer. Mais la difficulté tient justement dans la grande diversité de tous ces leviers et les interdépendances liées à leurs usages.
Nous avons interrogé nos clients des secteurs Retail et Consumer Goods sur les difficultés qu’ils rencontrent habituellement au moment d’opérer ce travail. Et la plupart de ces entreprises nous remontent les mêmes freins, liés à l’absence d’informations pertinentes ou de suivi en temps réel des chaînes d’approvisionnement.
Dans cet article, nous tentons d’apporter des solutions pérennes pour débloquer ces freins (nous en avons retenu six), avec une conviction forte : pour faire le grand écart entre durabilité sociale, environnementale ET financière, les entreprises doivent répondre à ces défis sur l’intégralité de la chaîne de valeur – à la fois à l’amont et à l’aval. Et la technologie est l’outil numéro un pour les aider dans ce changement de paradigme.
Frein n°1 : Une traçabilité limitée à l’amont comme à l’aval
Pour s’assurer que les produits proviennent de sources durables et que les droits humains et salariaux ont été respectés, les entreprises peuvent recourir à des technologies blockchain et d’intelligence artificielle (IA). Celles-ci garantissent un enregistrement immuable et transparent de l’origine et de la propriété des biens sur toute la chaîne logistique, y compris au cours des mouvements et transformations du produit.
Concrètement, cette démarche peut se traduire par la création d’un identifiant unique pour chaque produit et l’inscription de celui-ci sur une blockchain – avec, pour chaque identifiant, l’intégration de données qui traduisent l’origine, la qualité et la conformité réglementaire du bien. Les entreprises et les consommateurs ont ainsi la possibilité de vérifier l’information et de tracer le produit tout au long de son cycle de vie.
En pratique : Ce type d’initiative a été menée par des entreprises leaders du secteur, telles que Walmart et Nestlé : Walmart s’est ainsi emparé de la blockchain pour assurer la traçabilité du porc en Chine et celle de la mangue aux États-Unis. De son côté, Nestlé a fait le même travail de transparence et de suivi avec le lait en Nouvelle-Zélande, en traçant l’intégralité de la chaîne de valeur, depuis l’éleveur jusqu’au conditionnement en usine.
Frein n°2 : Un manque de données sur les émissions des fournisseurs
La durabilité est en train de devenir un critère de sélection des fournisseurs, avec une volonté assumée des entreprises du retail et des biens de consommation de se baser sur des informations comme l’empreinte carbone, l’utilisation des ressources ou le climat social du fournisseur.
Dans ce contexte, les outils d’analytique seront utiles pour collecter et traiter les données liées aux postes les plus émetteurs (ex : utilisation de matériaux consommateurs d’eau, transports longue distance, vente en masse, etc.) ou pour obtenir des informations sur l’engagement social et environnemental des fournisseurs. Cette dernière évaluation peut être faite en envoyant un simple formulaire déclaratif ou, pour les donneurs d’ordre plus matures technologiquement, au travers d’un portail fournisseur interne axé sur la durabilité – voire un accès direct aux données d’émissions du fournisseur via une connexion à l’environnement technologique de celui-ci.
En pratique : Des retours d’expérience dans ce domaine ont été observées chez Unilever et Patagonia – Unilever avec son « Code d’Agriculture Durable » qui lui sert de recueil de bonnes pratiques pour évaluer la durabilité de ses fournisseurs agricoles, et Patagonia avec son « Programme de Responsabilité Environnementale dédié à la supply chain », qu’il met en œuvre dans les usines de ses fournisseurs partout dans le monde. Patagonia prolonge d’ailleurs l’initiative en recourant à des outils du marché comme l’indice Higg1 pour évaluer l'impact environnemental de ses produits et matériaux et identifier ainsi les domaines dans lesquels des améliorations sont nécessaires.
Frein n°3 : Des informations incomplètes en matière de sourcing
Si la technologie permet désormais de tracer l’empreinte environnementale des matières premières (de leur extraction jusqu’à leurs transformations et leur transport), elle conduit logiquement les entreprises à identifier les matériaux les plus durables et à évaluer leur impact sur chaque maillon de la supply chain. L’intérêt des solutions logicielles tient notamment dans la conception de scenarios multicritères qui analysent étape par étape le bilan carbone de chaque option d’extraction, transformation et transport.
En pratique : Par exemple, Adidas s’est doté d’un outil appelé TrusTrace qui lui permet de mesurer l’impact environnemental de différents matériaux et de prioriser ceux qui s’avèrent les moins émetteurs.
Frein n°4 : Des marchés de demande très fluctuants
Une autre utilisation potentielle de l'analyse de données est de prévoir les évolutions de demande sur les marchés aval et d’optimiser ainsi les stocks – avec pour conséquence une réduction du gaspillage et des déchets. Pour cela, les fabricants et distributeurs peuvent avoir recours à l’analyse prédictive sur la demande future de produits, en s’appuyant sur des données aussi variées que l’historique des ventes, la météo, les anciennes commandes fournisseurs, ou encore les niveaux de stocks observés.
En pratique : Des entreprises du secteur comme Amazon et Zara ont mis en place ce type de dispositifs pour mieux piloter leurs activités : Amazon utilise l'analyse prédictive pour anticiper la demande et ajuster les niveaux de stock dans ses entrepôts, tandis que Zara a recours à ces analyses pour prédire les futures tendances mode et calibrer ainsi ses gammes de production.
Frein n°5 : Un suivi logistique rarement proactif
Quand il s’agit d’organiser la logistique et les transports de produits, les entreprises sont trop souvent prisonnières d’un mode de gestion manuel et en réactif, qui ne permet pas de limiter les émissions de gaz à effet de serre. Pour passer sur une gestion plus intelligente, les acteurs du retail et des biens de consommation peuvent s’appuyer sur des outils de suivi GPS et d’optimisation des itinéraires ou encore sur des appareils d’Internet des Objets (IoT).
Par exemple, un logiciel de gestion de flotte peut aider les entreprises à réduire leur empreinte carbone en réduisant le temps d’inactivité des véhicules, en optimisant la consommation de carburant et en limitant le nombre de kilomètres parcourus à vide. Au-delà de l’impératif environnemental, ces initiatives ont également pour effet d’optimiser l’efficacité logistique de la chaîne d’approvisionnement et de limiter la hausse des coûts associés (un enjeu de plus en plus prégnant pour les entreprises).
En pratique : Des acteurs-clés de la chaîne logistique comme DHL et UPS font usage de ce type de technologies : DHL optimise sa flotte et réduit ses émissions à travers un logiciel nommé « Green Fleet management system » et UPS met à profit des logiciels d’optimisation d’itinéraires et de suivi temps réel pour minimiser ses coûts de transport et ses émissions.
Frein n°6 : Des chaînes d’approvisionnement décorrélées du temps réel
De la même façon que les transports de marchandises peuvent basculer sur une gestion plus proactive, les maillons fournisseurs peuvent bénéficier d’outils technologiques pour coller davantage à leurs marchés et réagir plus rapidement aux imprévus de la chaîne logistique ou aux changements d’offre et de demande. Les technologies blockchain, Big Data, cloud, machine learning, IoT ou IA ont un grand rôle à jouer dans ce domaine – par exemple, les données issues des systèmes de vente et des stocks peuvent être mobilisées pour identifier les signaux faibles d’une tendance côté demande, ou pour surveiller des défaillances comme les pénuries de matériels et les problèmes de qualité (ex : matériaux défectueux).
La collaboration entre donneur d’ordre et fournisseur est centrale pour optimiser la gestion de stocks et l’efficience des systèmes logistiques : avec l’appui de la technologie, cette communication peut être fluidifiée et systématisée, permettant à l’un et à l’autre davantage de proactivité – et, en parallèle, une rationalisation des consommations synonyme de réduction des émissions.
En pratique : Aux Etats-Unis, les géants de la distribution que sont Walmart et Target ont ainsi mis à profit des données temps réel et des outils analytiques pour surveiller l’état des chaînes logistiques et répondre rapidement aux changements identifiés côté demande ou côté approvisionnement. Si Walmart s’intéresse plus particulièrement aux niveaux des stocks et aux évolutions de demande, Target investigue les données météo et les ruptures de chaîne logistique.
Une « entreprise durable »
Le secteur des biens de consommation et de la distribution est donc confronté à une accentuation des pressions exercées par ses parties prenantes (clients, investisseurs, régulateurs) pour atteindre les objectifs fixés en matière de durabilité et d’ESG. L’échec n’est pas une option, d’abord parce que l’entreprise pourrait ne pas s’en relever, mais aussi parce que la société au global se retrouverait perdante.
Dans ce cheminement, la technologie peut agir en partenaire de long terme pour faciliter la collaboration, l’innovation et la transparence entre les parties prenantes ; mais, pour bénéficier pleinement de ses avancées, les entreprises devront faire preuve de stabilité et d’esprit d’engagement au moment d’adopter et déployer ces solutions.
En agissant sur l’intégralité de la chaîne de valeur, ces outils peuvent aider tout le secteur du retail et des consumer goods à insuffler le changement positif au cœur de la société tout en préservant l’équilibre économique.
C’est précisément cela que l’on nomme « une entreprise Deep Green ».
Notes
1Indicateur de durabilité des matières, reconnu comme un standard dans le secteur des biens de consommation (textiles notamment)