Dans le chemin qui mène à l’intelligence artificielle, on a souvent tendance à penser que le plus dur est au début. Que la marche la plus haute est la première, celle qui consiste à mettre en place une data foundation solide. Mais que se passe-t-il après ? Quand les modèles tournent et que les résultats convergent ? Advient-il un moment où, satisfait du travail accompli, le responsable transformation digitale d’une entreprise peut se dire : « l’intendance suivra » ?
Sans entrer dans un discours de trouble-fête, nous souhaitions lever le voile sur les challenges qui ne manqueront pas d’émerger : non, la pente n’est pas plus douce après. Mais sur ce chemin, l’IA pourrait à la fois jouer le rôle du problème et de sa solution…
En mars et avril 2020, en plein confinement, nous avons conduit une étude portant sur différents niveaux de maturité IA dans les entreprises et sur leurs facteurs clés de succès : sans surprise, la data modernization s’imposait comme le prérequis indispensable, avec 90 % des entreprises matures qui déclaraient avoir conduit une stratégie de cette nature – quand les plus retardataires ne présentaient que peu d’initiatives dans ce domaine. La plupart de ces « beginners » (60 %) déclaraient même que le premier enseignement qu’ils tiraient de leur retard était l’importance d’avoir une architecture IT adéquate et des processus data opérationnels pour pouvoir se lancer.
Cependant, pour nécessaire qu’apparaisse cette condition, elle ne semble plus suffisante. En effet, le rythme d’évolution des données implique une réévaluation permanente des efforts, y compris pour les entreprises matures. En cause :
- L’intégration de nouvelles sources de données à forte valeur ajoutée : si les principales données utilisées par les architectures IA actuelles proviennent de l’IoT, des interactions clients ou des services internes de l’entreprise, une croissance spectaculaire des données pyschographiques1 (+109 % d’ici 2023), concurrentielles (+76 %), géospatiales (76 %) ou des réseaux sociaux (+60 %) pourrait remettre en cause les architectures et modèles utilisés (sans compter les données visuelles issues de caméras ou drones). En effet, la nature rapidement « périssable » de l’information que ces données transmettent rend encore plus critique leur traitement temps réel et l’acuité de leur analyse.
- L’accélération promise par la 5G : si la 5G en entreprise en est encore à ses prémices (9 % d’entre elles auraient un pilote en cours ), il est probable que le déferlement de données qu’elle induira, en volume comme en fréquence, aura des conséquences sur le management de données, notamment IoT.
- L’incertitude induite par le contexte pandémique : l’entrée dans une ère de fluctuation durable laisse présager une adaptation des modèles algorithmiques au plus près de la demande et des fournisseurs, nécessitant l’intervention de données de plus en plus localisées par régions ou business units.
Tous ces changements laissent entrevoir dans un avenir proche une pression accrue sur les systèmes de data management, qu’il s’agisse de problématiques de flux/volumes ou de variété de données non-structurées. Dès lors, quel message passer à ces entreprises déjà avancées dans leur maturité IA, qui ont consacré beaucoup d’efforts à moderniser leurs données et qui voient ces nouveaux obstacles s’élever dès l’horizon 2023 ? L’IA des années 2020 serait-elle Sisyphe condamné à échouer perpétuellement face à l’accélération du monde ?
La réalité est heureusement plus réconfortante. Quand on interroge à la fois les « leaders » et les « beginners » sur leurs défis du moment, il apparaît évident que les leaders, contrairement à leurs confrères, ont dépassé pour de bon certains challenges comme l’intégration, la qualité ou encore la mise à disposition des données.
Mais sur certains autres chantiers, la courbe d’apprentissage semble d’autant plus raide que la maturité progresse : dans une entreprise déjà passée à l’échelle en termes d’IA, la multiplication des cas d’usage et des sets de données dans un contexte de granularité internationale fera émerger des enjeux de data deluge bien plus tôt (et peut-être plus vivement) que chez les « beginners ». D’où une inquiétude plus marquée chez les « leaders » sur les défis de nettoyage et de référencement des données (il est cité 10 % de plus chez les leaders que chez les beginners, avec toutefois une base faible – seuls 10 % des répondants au total l’ont nommé) et sur ceux de gouvernance et de conformité (cité dans 36 % des réponses, dont 5 % de plus par les leaders).
Que peut-on faire pour endiguer le flux ? Quel avantage comparatif aurait-on à devancer la concurrence si les difficultés s’accumulent d’entrée de jeu ? L’ironie de l’histoire tient probablement au rôle dual que pourrait jouer l’intelligence artificielle : si celle-ci reste un but à atteindre, elle s’avère également un instrument performant pour automatiser, actualiser et accélérer les opérations de data management… et ainsi auto-générer les solutions qui mènent à l’IA.
Remplacer des opérations humaines de gouvernance et de nettoyage par des algorithmes de machine learning, de deep learning, de computer vision ou de NLP pourrait ainsi décharger les organisations d’une submersion annoncée. Et, comme l’intelligence artificielle est d’autant plus indolore et invisible que son intégration est avancée dans les organisations, elle pourrait conforter les « leaders » dans leur position en tête de course et leur permettre d’accompagner ces changements avec une scalabilité équivalente à leur niveau d’avancement.
Les chiffres laissent d’ailleurs entendre que la dynamique est lancée : si, en 2020, 17 % des tâches de préparation des données étaient effectuées par des systèmes intelligents plutôt que par des humains, cette proportion est évaluée à 25 % en 2023, selon notre étude. Une perspective qui devrait redonner optimisme et réassurance aux entreprises engagées dans leurs processus de transformation.
Restera alors un défi – et non des moindres : créer les workflows efficaces pour optimiser la collaboration entre l’humain et la machine…
Notes :
1 Données qui rendent compte des valeurs, des croyances ou des styles de vie des personnes, en complément des données socio-démographiques