Véritable big bang fiscal, opérationnel et IT, la réforme de la facturation et du reporting électronique contenue dans la loi de Finances entrera en vigueur en 2026 pour les grandes entreprises. Un sujet qui suscite autant d’interrogations que d’incrédulité à l’heure où les acteurs économiques appellent à une simplification administrative.
« Un peu comme le prélèvement à la source à l’époque, les nouvelles exigences réglementaires en matière de facturation électronique sont conçues pour fluidifier les processus comptables et libérer du temps de gestion administrative. Mais forcément, la première marche peut sembler haute à gravir, d’où une certaine appréhension », analyse Marjorie Segui, consultante en dématérialisation pour Cognizant.
Afin d’envisager sereinement l’entrée dans cette nouvelle étape de la transformation numérique des entreprises, Cognizant vous livre quelques outils d’analyse et quelques conseils d’implémentation… en huit données-clés.
1) 4,5 milliards d’euros par an : c’est le gain estimé pour les entreprises (PME)
« Avant de rentrer dans la technicité de la réforme, je pense qu’il est important de faire valoir l’intérêt que les entreprises peuvent y trouver, souligne Marjorie Segui. Certes, le passage à la facturation électronique peut occasionner des coûts de transition mais les effets attendus sur la durée sont non négligeables ». Une étude d’impact menée par le gouvernement dans le projet de loi de finances rectificative de 2022 établissait en effet à 4,5 milliards d’euros le gain annuel de productivité réalisé par les PME. Un ROI qui reste cependant plus difficile à établir pour les grandes entreprises.
« Ne nous y trompons pas : la réforme sert en premier lieu les intérêts de l’État qui y voit un outil de lutte contre la fraude à la TVA et un vecteur de transparence quant aux activités des entreprises. Mais le bénéfice pour les entreprises est réel, notamment en matière d’accélération des paiements ou de gouvernance des données administratives ». Un message qui commence à résonner dans les services comptables, légaux et IT des entreprises, même si l’évangélisation reste un défi...
2) « 66 % des entreprises pensent qu’il s’agit d’une facture envoyée en PDF »
« Il y a encore une méconnaissance sur la notion de facturation électronique : non, il ne s’agit pas simplement d’une facture papier qu’on a dématérialisée en PDF et envoyée par mail, c’est bien plus large que cela », signale Marjorie Segui.
Dans le nouveau paradigme de l’e-invoicing, la facture est désormais adossée à un flux de données structurées qui transitent entre le fournisseur, le client et l’État. Parmi ces données, outre les mentions obligatoires déjà connues, on retrouve ainsi le numéro de SIREN de l’assujetti et du client, l’adresse de livraison des biens (si celle-ci est différente de l’adresse du client), la nature de l’opération (s’il s’agit d’une prestation de services ou d’une livraison de biens, ou des deux) ou encore l’indication du choix de l’assujetti quant au paiement de la TVA sur les débits.
« Le grand changement qu’implique la facturation électronique, c’est qu’elle place l’État au cœur des échanges : désormais toutes les données de facturation seront centralisées sur une plateforme commune, le Portail Public de Facturation (PPF) », indique Marjorie Segui. Dans ce nouveau schéma de fonctionnement, les entreprises seront donc amenées à identifier leur interlocuteur dans un annuaire centralisé puis à saisir les données de facturation associées à la facture et, enfin, à transmettre cette facture dans un format structuré (XML, CII ou XML UBL) ou hybride (Factur-X).
Ce guichet unique induit par le PPF (qui sera une déclinaison de Chorus Pro, le portail déjà à l’œuvre pour les factures B2G, business-to-government) vaudra à la fois pour les factures émises et les factures reçues.
3) E-invoicing ou e-reporting ? Les 2 volets (et demi) de la réforme
Les éléments décrits dans le paragraphe 2 correspondent au cas le plus « classique » : celui d’une facture échangée entre deux organisations professionnelles domestiques assujetties à la TVA. Mais qu’en est-il pour les opérations commerciales qui impliquent des particuliers ? ou celles qui se déroulent à l’étranger ? ou celles qui ne font pas intervenir des factures (mais des tickets de caisse par exemple) ?
« À travers cette réforme, le gouvernement souhaite tracer plus fidèlement toutes les transactions, y compris celles qui échappent au champ d’application de la facturation électronique – par exemple des transactions e-commerce ou des flux internes à une multinationale. On parle alors de e-reporting », explique Marjorie Segui. Dans ce contexte, les entreprises seront appelées à rendre compte de leurs transactions en renseignant ces informations sur une base régulière, à raison de trois fois par mois.
« En plus de tout cela, le texte prévoit un e-reporting des données de paiement, lequel concerne toutes les prestations de services (que celles-ci relèvent de l’e-invoicing ou de l’e-reporting). Cela signifie que, lorsqu’une prestation est réglée par un client auprès de son partenaire fournisseur, le paiement doit être connu de l’administration fiscale afin que celle-ci puisse exiger la TVA », note Marjorie Segui.
Une réforme en deux volets, donc (voire deux volets et demi si l’on considère que le e-reporting des paiements s’applique aux deux branches) qui témoigne de l’ambition du projet. « Autant il y a déjà eu des expériences de e-invoicing et de e-reporting dans d’autres pays sud-américains ou européens (Italie, Pologne), autant c’est la première fois qu’une réforme prévoit la simultanéité des deux transformations. C’est peut-être pour cela que la réforme met du temps à voir le jour », analyse Marjorie Segui.
4) Deux ans : c’est le temps qu’il vous reste pour vous mettre en conformité
Car le calendrier de la réforme s’est en effet trouvé repoussé maintes et maintes fois, participant de ce sentiment d’incrédulité au sein des entreprises : l’Agence pour l'Informatique Financière de l'État (AIFE) a en effet mis du temps à faire évoluer Chorus Pro et à labelliser des plateformes partenaires (cf. paragraphe 6).
« Attention, ce n’est pas parce que la réforme a été repoussée qu’elle ne va pas advenir, au contraire. Désormais, la date cible est le 1er septembre 2026… et personne ne pourra y déroger ! » prévient Marjorie Segui.
Car si la date du 1er septembre 2026 ne concerne « que » les grandes entreprises, les PME et ETI devront elles aussi se tenir prêtes à cette date pour être en capacité de recevoir les factures de leurs clients grands comptes. « Même si le calendrier retenu pour les PME/ETI est celui du 1er septembre 2027, il faut anticiper sur cette date pour ne pas se retrouver dans le rouge », alerte Marjorie Segui.
Les sanctions prévues en cas de non-conformité ne sont en effet pas négligeables : 15 euros par facture pour un défaut de e-invoicing, et 250 euros pour défaut de télédéclaration (e-reporting), dans la limite de 15 000 euros par an. « Soit, en toute logique, 265 euros par transaction… », résume Marjorie Segui. De quoi inciter les plus réticents à se conformer rapidement car, selon la communication actuelle du gouvernement, seule une infraction pourrait être tolérée lors du basculement vers ce nouveau paradigme, le régime de sanction étant ensuite unilatéralement appliqué en cas de récidive.
5) 4 millions d’entreprises et 3 milliards de factures : la volumétrie au cœur de la stratégie de transformation
En effet, tout l’enjeu de la réforme tient dans l’ampleur des volumes représentés : « Toutes les entreprises de France sont concernées, absolument toutes, y compris les auto-entrepreneurs », souligne Marjorie Segui. Une volumétrie qui aura des impacts sur les manières d’intégrer les processus opérationnels et IT… : « Si une petite entreprise avec un nombre limité de factures par mois a les capacités de rentrer manuellement ses données dans le PPF, il n’en est pas de même pour les entreprises plus grosses qui devront automatiser leurs processus et réaliser du développement spécifique. Pour celles-ci, nous recommandons de faire appel à des plateformes partenaires qui gèreront l’interaction avec le PPF et accompagneront au mieux le travail de mise en qualité des données », analyse Marjorie Segui.