Faire du « durable » un KPI d’analyse financière : depuis dix ans, et plus encore depuis le plan d’action de la Commission européenne¹, c’est la mission portée par les critères ESG (Environnement – Social – Gouvernance) au cœur du système financier. Désormais, avec une crise sanitaire qui a révélé tous les enjeux de la gestion du risque et avec la pression accrue des consommateurs et des régulateurs, l’urgence de basculer sur un modèle pérenne et résilient invite entreprises et investisseurs à renforcer leurs perspectives ESG, donc d’envisager une transformation plus volontariste de leurs organisations autour de ces critères.
La crise sanitaire l’a prouvé : les risques extra-financiers ont désormais un potentiel d’impact tout aussi important que les risques financiers et leur prise en compte est devenue un élément-clé. Dans un rapport réalisé avec le Boston Consulting Group en juillet 2020², l’Association EpE (Entreprises pour l’Environnement) remarquait ainsi, chiffres à l’appui, que « les investissements responsables ont mieux résisté face à la crise, bénéficiant d’un appétit des investisseurs pour des actifs jugés financièrement plus solides et intégrant mieux les risques extra-financiers ».
Cette légitimation financière de l’ESG s’ajoute à un mouvement global d’attractivité sur ces sujets qui catalyse à l’orée des années 2020 : une demande consommateurs de plus en plus éclairée et exigeante, et un cadre de régulation européen qui se structure progressivement autour de la définition de taxonomies³ et de mesures de labellisation ou de bonus/malus (encore à l’état d’études). De plus en plus, on sent poindre derrière ce triptyque ESG un moteur de la relance capable d’injecter dans l’économie les investissements nécessaires à des projets durables.
Cette accélération brutale, guidée par une triple pression - performance, conformité réglementaire, cohérence de marque - doit amener les entreprises et les acteurs du secteur financier à accentuer la portée de l’ESG, en valorisant davantage ses apports en matière de transparence, de gestion des risques ou de continuité d’activité. D’une définition orientée RSE à la base, puis à la réduction des externalités négatives, l’ESG pourrait étendre son champ d’action pour devenir une grille de lecture de la résilience d’une entreprise, un indicateur de pilotage vers celle-ci et, en cela, un véritable moteur. D'où notre suggestion d’adjoindre le R de résilience à l’acronyme ESG : ESG-R.
Comment traduire en actions concrètes et constructives ce glissement sémantique ?
1) D’abord en actualisant la définition des trois piliers de l’ESG pour repréciser leurs critères :
- Environnement : en utilisant la période de confinement comme une source d’enseignements pour créer de nouvelles références sur les émissions de carbone, la relocalisation des chaînes d’approvisionnement et les impacts environnementaux du travail à distance.
- Social : en repriorisant les composantes « santé » des critères ESG et en stimulant l’innovation bancaire pour qu’elle intègre plus résolument un volet social à ses solutions de financement.
- Gouvernance : en développant une approche ‘par les risques’ de la gouvernance d’entreprise, qui permette de noter la résilience de la structure de gestion et du tissu économique (approvisionnement, distribution, etc.) et qui conduise à un reporting transparent et continu sur les actifs stratégiques de l’entreprise.
2) Ensuite en invitant les entreprises et établissements financiers à une transformation plus radicale de leur organisation et de leur business pour faire de l’ESG-R un maillon central de la chaîne de valeur. En effet, la transversalité des enjeux induits par ces critères (business et opérations, Juridiques, RH, data) appelle à la création d’un ownership dédié au sein de l’entreprise pour centraliser les questions liées à l’ESG-R et piloter leur stratégie d’exécution.
Nous recommandons donc :
- La création d’un poste de Chief Sustainability Officer prenant en compte la multidisciplinarité de la fonction (connaissances business, réglementaires, IT/Data et RH) et la désignation d’un comité ESG dédié,
- Le sponsoring du board à la fois sur l’établissement de la stratégie et sur le suivi des actions de déploiement,
- La répartition de mandats ESG-R en différents points de l’organisation et dans son écosystème partenarial (ils peuvent recouvrir et remplacer les mandats RSE),
- Le pilotage en continu du changement.
3) Enfin, en poussant à l’extrême l’innovation ESG-R au cœur des établissements financiers à travers la conception de nouveaux produits et solutions de financement indexés sur ces critères, tout en évitant le ESG-washing. La performance business attendue sur ce type de produits serait, à elle seule, un moteur d’attractivité capable de générer un champ des possibles large pour le secteur financier.
Plus qu’un ensemble d’indicateurs statiques, l’ESG-R porte donc en elle un moteur de relance long terme, à la fois pour le secteur financier et pour les entreprises. Pour l’heure, des travaux sont en cours à l’échelon européen pour l’harmoniser les normes, les définitions et les méthodologies, et donner ainsi un cadre commun. D’ailleurs, les acteurs de la gestion d’actifs, en chefs de file de cette révolution règlementaire, y sont déjà confrontés notamment dans la mise en place de la règlementation SDFR ; toutefois le reste de l’industrie se prépare également à mettre en place ces nouveaux référentiels. Ce qui ne manque pas de faire émerger des enjeux très concrets pour les stratégies IT des entreprises : quelles données cibler pour évaluer l’ESG-R ? Et comment les collecter ?
Notes :
¹ EU Commission Action plan, 8 Mars 2018
² « Construire une relance durable », rapport du Boston Consulting Group et de l’Association Française des Entreprises pour l’Environnement (EpE), juillet 2020.
³ Définition d’un cadre commun de classification des activités durables pour faciliter le ciblage des investissements