Comment organiser la segmentation des tâches entre l’homme et la machine ? Comment créer les conditions d’une collaboration harmonieuse, génératrice de valeur mais aussi de bien-être pour les équipes ? Et quel schéma d’organisation privilégier pour incorporer cette complémentarité ?
Autant de questions qui s’imposeront avec acuité aux organisations dans les années qui viennent et qui nécessiteront probablement un changement de modèle de travail appuyé en priorité sur les compétences… et la confiance.
Dans un précédent post, nous évoquions le nécessaire soutien de l’intelligence artificielle pour répondre à la complexification du data management : face à des enjeux de gouvernance ou de qualité dont l’humain ne saurait traiter ni le volume ni la variété, les technologies d’IA avancée offrent des perspectives prometteuses de relais, qui peuvent permettre aux équipes de se concentrer sur d’autres tâches à plus forte valeur ajoutée. Autrement dit : à la machine les tâches répétitives et prédictives, à l’homme les missions d’analyse, de créativité et de prise de décision.
Mais concrètement : comment appliquer cette complémentarité homme-machine au sein de chaque équipe et à l’échelle de l’organisation ? Afin de poser les premières bases méthodologiques de ce pivotement, nous avons établi un modèle en 5T (littéralement : Tasks, Teams, Talent, Technology and Trust), qui permet d’en récapituler les piliers principaux :
- Les tâches à segmenter (« Tasks ») : il s’agit d’identifier, au sein de chaque poste, les tâches dont la valeur ou la complexité requiert une intervention humaine, par opposition aux tâches qui gagnent à être exercées par une IA. On peut alors supposer que ce fractionnement aura un impact positif sur la partie attribuable à l’humain qui pourrait se voir mieux valorisée.
- Les compétences à mobiliser (« Talent ») : les compétences des équipes et les compétences de la machine devront tendre vers un rapprochement à travers l’établissement d’un référentiel commun sur les process, les outils et les systèmes.
- Le socle technologique à garantir (« Technology ») : le succès de la transition vers une collaboration homme-machine dépend en partie du niveau d’intégration de l’IA au sein du système d’information et de la capacité de ce dernier à assurer agilité, scalabilité et simplicité au sein de l’organisation.
- Les équipes à reconfigurer (« Teams ») : il est probable qu’on assiste à un redimensionnement des équipes vers de plus petites unités, plus flexibles et capables de naviguer entre plusieurs fonctions. Le management de ces équipes devra alors intégrer cette dimension « homme-machine » dans la capacité à organiser les process et l’organisation.
- La confiance à mettre en place (« Trust ») : face aux enjeux éthiques de l’IA, il est indispensable que les entreprises augmentent leur niveau de transparence sur les mécanismes et décisions prises par celle-ci, surtout dans un contexte de collaboration étroite avec les équipes.
Ce premier tour d’horizon donné par les « 5T » confirme la complexité et la granularité des enjeux RH qui se dessinent si l’entreprise souhaite engager cette transformation à l’échelle de toutes ses équipes. Il devient évident que la transition vers l’IA dépasse alors sa condition purement technologique pour acquérir une dimension « people first » qui se décline automatiquement en stratégie RH. Savoir développer, retenir et recruter les compétences qui faciliteront cette collaboration homme-machine sera probablement un des facteurs-clé de performance pour l’entreprise de demain.
Parmi les chantiers RH que l’on peut envisager à court terme (avant cinq ans) :
- Le recrutement et la rétention de profils capables de gérer des systèmes automatisés au sein des équipes : des métiers comme les spécialistes big data, les experts en automatisation de process, les analystes sécurité, les designers d’interactions homme-machine, les ingénieurs en robotique et les experts en machine learning – entre autres – seront particulièrement recherchés.
- Le développement des talents internes à l’organisation : des stratégies d’upskilling, de formations internes et de mobilités doivent être déployées en nombre pour compenser la rareté de profils « IA » sur le marché de l’emploi. L’empowerment de profils non techniques doit également être envisagé afin que ceux-ci puissent intégrer les contraintes et bénéfices de l’IA à leur réflexion métier.
- La poursuite de la démocratisation de la data : à tous les niveaux de l’entreprise, la culture digitale doit être véhiculée et infusée par des ambassadeurs data affectés à des problèmes business dédiés. Les profils non techniques doivent être exposés au potentiel des modèles analytiques ou IA – raison pour laquelle nous recommandons fortement des rotations IT/non-IT sur une même fonction.
Il est d’ailleurs intéressant de constater que les entreprises les plus matures en termes d’IA consacrent aujourd’hui 27 % de leurs investissements à des stratégies « People », là où les débutants en sont encore à 15 % et préfèrent se concentrer sur les investissements technologiques (qui représentent 55 % de leur budget alors qu’ils ne prennent que 39 % aux « leaders »).
Mais s’il est un point qui requiert un investissement important – notamment en matière de temps, de communication et d’implication managériale – c’est la notion même de confiance dans le projet de transformation, partagée à tous les niveaux de l’organisation. En ce sens, embarquer les équipes vers une collaboration avec l’IA réclamera une transparence totale sur les objectifs poursuivis par l’entreprise et les impacts que ces changements pourraient avoir sur l’organisation. Les notions de responsabilité et d’explicabilité seront centrales pour soutenir ce projet.
Pourquoi est-ce si important ? Parce qu’au-delà des valeurs véhiculées par l’entreprise à ses clients et fournisseurs externes, ce bon usage de l’IA pourrait également faire partie des critères d’adhésion de la nouvelle génération à un potentiel futur employeur. Dans un contexte où les compétences IA seront de plus en plus rares et recherchées, garantir cet environnement responsable sera d’autant plus critique pour assurer l’attraction des talents et engager la pérennité long terme de l’activité.